Les politiques d'emploi dans l'Union européenne

 

 

Souvent on nous explique les évolutions économiques et sociales comme des phénomènes naturels inévitables. C'est ainsi que le développement du chômage dans l'Union européenne nous a été présenté comme le passage obligé après les années des « Trente glorieuses » vers une société moderne où enfin le marché résoudrait tous les problèmes de la planète en général et de l'Europe en particulier. Les sacrifices et les plans d'austérité du moment préparaient les investissements et les emplois de demain, disait Helmut Schmidt.

Nous avons eu les sacrifices, mais pas les emplois. Le Traité de Maastricht en 1993 consacrait l'engagement de l'UE dans la voie de l'Union monétaire et économique. Les fameux critères de Maastricht obligeaient les Etats à respecter des indices sévères et des budgets serrés. Le taux de chômage lui ne faisait pas partie des ces critères contraignants : il s'envola bien au-delà des 10 % alors qu'il fallait juguler l'inflation à moins de 3%.

La fin de la dernière décennie connut l'émergence dans toute l'Europe de mouvements de lutte contre ce nouveau fléau, le chômage de masse et de longue durée, notamment dans le monde associatif. En 1997 à Amsterdam nous nous retrouvions plusieurs dizaines de milliers pour dire qu'il fallait en finir avec le chômage, la précarité, les exclusions et enfin les gouvernements prenaient l'engagement d'initier de réelles politiques d'emploi : un chapitre emploi était inscrit dans le traité d'Amsterdam. Un sommet était même convoqué à cet effet à Luxembourg la même année.

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Les Politiques de la Commission Européenne

La nouvelle bible des années 90

De sommet en sommet jusqu'à Lisbonne et Nice

Les Politiques de la Commission Européenne

C'est alors que l'on découvrit avec effroi les grandes lignes des politiques européennes de l'emploi élaborées par la fameuse Commission européenne et que l'on s'aperçut que toutes les initiatives des gouvernements nationaux en la matière s'en inspiraient à la lettre. Ces mêmes gouvernements dénonçaient auprès de leurs électeurs la « bureaucratie de la Commission de Bruxelles » alors qu'ils venaient d'adopter en sommet toutes ses propositions.

C'est d'ailleurs à Bruxelles au début du mois de juin de cette année, lors du sommet des patrons de l'UNICE que l'on a pu constater que ceux-ci n'avaient même pas à donner leurs diktats à la Commission : celle-ci est allée bien au-delà de leurs vœux depuis des années.

Il est vrai que trop longtemps, nous nous sommes désintéressés de ce qui se passait à l'échelle européenne laissant les patrons et les gouvernants faire l'Europe dans notre dos. Même les parlementaires de gauche ne lisaient pas toujours les textes qu'ils votaient. Nos amis de Belgique ont attiré notre attention sur le rôle de la Commission, véritable gouvernement de l'UE qui transforme ses recommandations en directives que les Etats ne peuvent plus contester une fois qu'ils les ont eux-mêmes acceptées lors des sommets de l'UE.

Depuis 1998, l'UE impose aux Etats des politiques d'emploi et l'on annonce régulièrement avec beaucoup de publicité dans les médias des baisses sensibles du nombre de chômeurs. Nous serions les premiers à nous en réjouir mais les statisticiens eux-mêmes expliquent que pour l'instant, l'amélioration des chiffres annoncés résultent souvent des méthodes de comptage et des nettoyages des fichiers . Dans le même temps les chiffres des emplois précaires dépassent tous les plafonds, la « trappe à précarité » ne fait que remplacer la « trappe à pauvreté ».

Cela s'explique d'ailleurs facilement quand on regarde de près en quoi consiste ces politiques d'emploi européenne. En analysant ce qui se passe au niveau européen, nous sommes mieux à même de comprendre ce qui se passe dans chacun de nos pays et ainsi nous pouvons coordonner nos luttes pour les rendre plus efficaces. Cela est d'autant plus important cette année que la construction européenne est à un tournant. L'année 2000 va s'achever par le sommet de Nice avec à l'ordre du jour la révision du Traité de l'Union européenne, la réforme des institutions, la Charte des droits fondamentaux et sociaux, l'élargissement à ne nouveaux membres.

La nouvelle bible des années 90 : les GOPE, les « grandes orientations de politiques économiques » et les PAN, les « Plans d'action nationaux »

Pour comprendre les politiques d'emploi européenne, il faut partir d'une part du cadre idéologique qui les inspire, la mise en place d'une union économique et monétaire fondée sur les lois du marché, la compétitivité, le profit et d'autre part du fonctionnement des institutions européennes. La Commission, composée de commissaires des divers pays, est une forme hybride de super-gouvernement qui élabore les « GOPE », les « grandes orientations de politique économique » et met en œuvre les décisions prises lors des sommets.

Depuis 1994, les GOPE suivent le même cheminement : elles sont concoctées - en étroite coopération avec les banquiers centraux - par le Commissaire responsable des affaires économiques, financières et monétaires, puis présentées au Collège des Commissaires pour devenir une Recommandation de la Commission européenne, présentées pour simple avis au Parlement européen, votées par le Conseil des ministres ECOFIN (Economie et Finances, mais pas ceux de l'emploi…) et enfin adoptées lors des sommets. Une fois adoptées ces recommandations s'imposent à chaque Etat sous la surveillance des autres.

La communication Croissance et emploi de décembre 1996 annonçait la couleur : « Pour obtenir les résultats voulus, un élargissement de l'échelle des salaires vers le bas suppose une réduction de 20 à 30 % du coût salarial des activités peu qualifiées, comme cela a été le cas par exemple, aux Etats-Unis dans les années 1970 et 1980. En outre, pour être efficace, une telle mesure nécessiterait en Europe, une réduction équivalente des allocations de chômage et des prestations sociales afin d'éviter « le piège à pauvreté ».  » Le chômage redevenait ce qu'il a toujours été : une arme pour casser le coût du travail.

La faute à qui ? Aux chômeurs eux-mêmes bien sûr !

En 1997 au sommet de Luxembourg, les chefs d'Etat et de gouvernement adoptaient un texte les déclarant « inemployables et coupables de passivité ». D'où les mesures d'activation des allocations de chômage, les contrôles de la vie privée (banalisation des visites domiciliaires en Belgique en 1998), les formations bidon et les emplois précaires imposés, les mécanismes de dégressivité, les baisses de revenus de plus en plus insupportables, la multiplication des sous-statuts et des emplois précaires.

Et c'est ainsi que lors de chaque sommet, les gouvernements devront rendre des comptes sur les résultats de leurs politiques en la matière, la Commission entrant dans les détails des mesures à prendre, pays par pays, catégorie par catégorie (jeunes, vieux, femmes…). Les Etats s'engagent à insérer les lignes directrices dans leurs Plans d'action nationaux. Ces plans sont transmis à la Commission qui les évalue et contrôle leur réalisation et prend éventuellement des sanctions.

D'un pays à l'autre on retrouve les mêmes caractéristiques de ces plans. Il s'agit d'abord de diminuer les allocations-chômage et les aides pour obliger les chômeurs à prendre n'importe quel boulot à n'importe quel prix sous peine de perdre ces aides et indemnités. Les changements de métier deviennent ainsi obligatoires. Ce sont en fait des formes de travail forcé. D'autant plus que cela s'accompagne de la remise en cause des conventions collectives, de la flexibilité généralisée, de la généralisation des contrats de travail à durée déterminée, des temps partiels, sans véritables statuts. L'horizon d'un boulot à 5 ans maximum et la précarité à vie deviennent la règle générale. C'est la fin annoncée des contrats à durée indéterminée, des métiers, des déroulements de carrière. Le MEDEF, l'association patronale des grandes entreprises françaises est en train d'imposer son projet de « refondation sociale » : mise sous conditions des allocations-chômage et fin des contrats de travail à durée indéterminée. Si le gouvernement français laisse passer ce projet, c'est le plus grave recul social depuis plus de 50 ans. Et tout cela correspond bien aux directives de la Commission européenne.

Dans de nombreux pays, les entreprises d'interim deviennent les premiers employeurs. Les services publics qui gèrent qui gèrent le chômage, la recherche d'un emploi etc… sont remplacés par des officines patronales.

On constate aussi un autre phénomène dans tous les pays concernés. Non seulement les emplois créés ne sont pas de vrais emplois mais en plus on libère les patrons des charges sociales liées au coût du travail. On crée ainsi un marché du travail spécifique avec une masse de main-d'oeuvre corvéable à merci au moindre coût. Les précaires remplacent les chômeurs. Les autres sont déclarés inemployables et donc à prendre en charge par la société.

Phénomène encore plus inquiétant « l'allocation compensatrice de revenu » de la part de l'Etat. Il s'agit d'une aide au bas salaires afin que la reprise d'emploi se traduise par un gain de revenu. Cela existe déjà et améliore la situation de ceux qui reprennent un travail. Mais si cela se généralise, cela va inciter encore plus les patrons à embaucher à des salaires de plus en plus bas et faire sauter les salaires minimum dans les pays où ils existent.

Voilà ce que signifie pour l'Union européenne aujourd'hui le « plein emploi ». Il va sans dire que nous ne pouvons accepter tout cela.

De sommet en sommet jusqu'à Lisbonne et Nice

C'est ainsi qu'après la mise en place du « processus » de Luxembourg concernant l'emploi, chaque sommet suivant, Cardiff, Vienne, Helsinki, Cologne adoptèrent des mesures allant dans le même sens.

L'année 2000 est pourtant particulière.

D'abord à cause de ce qui s'est passé à Lisbonne.

Lisbonne se voulait un sommet social par excellence. C'est Tony Blair qui l'avait souhaité et quand Tony Blair s'occupe des questions sociales, on sait ce que cela veut dire ! Il faut libérer le marché de toutes ses entraves. Le pire, c'est qu'il est arrivé à ses fins, que tous les gouvernements de l'UE se sont engagés dans la voie néolibérale de la « troisième voie », notamment en ce qui concerne la fin des services publics. Même Jospin a signé. Rien ne doit plus gêner l'économie de marché : il faut pour cela casser ce qui reste encore de service public, de protection sociale acquis dans les différents pays de l'Union européenne. Et pour faire passer la pilule, le gouvernement portugais qui présidait le sommet de Lisbonne fit avaler tout cela avec une sauce « nouvelle économie ». Un grand changement pour les chômeurs : ils seront maintenant membres de l'e-économie, tous « en ligne » et en formation permanente..

La notion de la « formation tout au long de la vie » est typique de ce qui est en train de se passer.

Corinne Gobin, de l'Université libre de Bruxelles résume ainsi ce qui se passe.

La notion de la « formation tout au long de la vie » s'accompagne souvent de la notion de « temps de travail flexible sur toute la vie ». Sous le couvert de favoriser la formation, il s'agit surtout d'une stratégie patronale de dévalorisation permanente de la formation professionnelle des travailleurs. Sous le prétexte que le marché deviendrait un objet de plus en plus mouvant et indéterminé, le patronat transforme en fait les travailleurs en inadaptés perpétuels devant sans cesse absorber de nouvelles formations, tout aussitôt dévaluées. Cette stratégie patronale de dévalorisation et de suppression de métiers, de postes de travail est vieille, elle existe depuis les origines du développement du capitalisme industriel, mais aujourd'hui elle est déployée de façon intensive et extensive. Elle permet d'exercer de façon constante une pression à la baisse sur les salaires.

Dans le même temps l'enseignement est lui aussi « privatisé ». La boucle est bouclée !

L'enjeu du sommet de Nice en Décembre 2000 est considérable. Tellement important qu'il n'accouchera peut-être que d'une souris si la principaux pays européens n'arrivent pas à s'entendre pour réviser le Traité de l'Union européenne. Pour autant, nous devons être attentifs à ce qui va se passer et surtout mobiliser pour faire entendre la voix des chômeurs et des précaires haut et fort. Nous ne pouvons plus laisser passer les sommets les uns après les autres sans rien obtenir.

D'abord en ce qui concerne les institutions. Qui décide en Europe et comment ? Depuis cinquante ans patrons et gouvernements ont fait l'Europe à notre insu. On voit dans quelle situation ils nous ont mis. Vingt millions de chômeurs et soixante millions de pauvres dans le continent le plus riche de la planète. Cela ne peut continuer. Notre sort ne peut plus dépendre d'une commission incontrôlée.

Ensuite en ce qui concerne l'élargissement. Cela ne peut se faire sur le seul critère de l'élargissement et de la libéralisation des marchés. On connaît déjà les méfaits du dumping social, salarial, fiscal dans l'Union européenne aujourd'hui. On imagine aisément les conséquences d'une entrée brutale d'autres pays avec le nivellement par le bas des conditions de travail et des droits sociaux.

Enfin, une nouvelle fois, les droits fondamentaux et sociaux seront à l'ordre du jour. Les associations se mobilisent dans toute l'Europe pour qu'enfin ces droits soient intégrés dans le Traité pour qu'ils aient force de loi et ne restent pas seulement au niveau de bonnes déclarations qui donnent bonne conscience à ceux qui ne les appliqueront pas par ailleurs. C'est d'autant plus important pour les droits sociaux qui concernent notre droit à l'emploi, notre droit à un revenu, que l'on ait un emploi ou pas, que l'on soit en activité ou en retraite.

C'est dire que dès maintenant, nous devons préparer des mobilisations à la hauteur des enjeux de ce sommet avec l'ensemble du monde associatif et syndical. Les enjeux sur l'emploi, les salaires, les retraites, les services publics sont trop importants pour que nous laissions les néolibéraux faire ce qu'ils veulent à Nice comme ils l'ont fait précédemment. Ce qui s'est passé à Seattle montre que tout n'est pas inéluctable.

Nous n'avons pas le choix et si nous laissons faire, le pire peut encore arriver. Dans le cadre d'un des scénarios de la Commission pour 2010, voici ce que l'on peut lire :

Le triomphe des marchés :…face au décollage des Etats Unis, l'Europe semblait n'avoir d'autres choix que de relever le défi américain - ou de décrocher de la dynamique économique mondiale. Les responsables politiques commencèrent alors à s'approprier les valeurs de la libre entreprise et à fustiger les dérives de l'Etat social. Les faux chômeurs, les faux malades, les employés du secteur public, les profiteurs en tout genre furent cloués au pilori comme autant de planqués injustement nourris par les impôts des autres….Grâce à la réduction des prestations de chômage et à la suppression des contraintes d'embauche ou de rémunération, les entreprises européennes disposent désormais d'une main d'œuvre flexible et de coûts salariaux modulables…

L'auteur de ces lignes décrit la situation dont il rêve pour les années 2003/2005.

Cela a déjà commencé. Donnons les moyens d'arrêter les processus infernaux que l'on nous concocte à l'échelle européenne. Seule des revendications unifiantes européennes des jeunes, des chômeurs, des précaires, des retraités pourront maintenir les digues acquises depuis des décennies de lutte dans les cadres nationaux.

Michel Rousseau
(Intervention lors de la Table ronde de Bielefeld le 17/6/2000 à partir des nombreuses contributions de Marie Paule Connan, Coordination des Marches en Belgique).

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