LE SAMEDI 16 MARS BARCELONE ETAIT UNE FETE (Chronique)

Le bourdonnement d’un hélicoptère survolant à la verticale la manifestation contre « l’Europe du Capital », déclenche tout à coup une tempête de sifflets. Des milliers d’index vengeurs se dressent vers le ciel, tandis qu’éclatent les rires de milliers de jeunes filles et de jeunes gens qui crient, tout en chantant : « !Ito, ito, ito !, que se caiga el pajarito ». Soit : « Tombe, tombe, tombe ! Que le petit oiseau tombe ! ».

L’avion de reconnaissance AWAC, cédé par l’OTAN pour la circonstance au gouvernement AZNAR ( grâce entre autres, je suppose, à l’intervention du socialiste Javier Solana), les avions de combat en renfort, les missiles même, censés protéger les chefs d’Etat européens qui nous mitonnent l’Europe, leur Europe, sont restés sagement dans les hangars. Ils en seraient peut-être sortis si les manifestants avaient eu la mauvaise idée d’occuper les rues de Barcelone (le passé révolutionnaire de cette ville explique, en partie, la fièvre qui a jeté sur son pavé des centaines de milliers de jeunes et de moins jeunes) ou de réclamer la formation d’un gouvernement d’Union Populaire… Nous n’en sommes pas là. Pour l’instant, il s’agit de manifester contre « l’Europe du Capital », de fraterniser et de piétiner sur place, car les rues de la capitale catalane n’arrivent pas à endiguer le flot des arrivants qui submerge peu à peu la Place de Catalogne et commence à déferler,par la Via Layetana, en direction du Port.

Je note au passage, (uneimpression sans doute), que le pavé -le macadam plutôt- brûle sous mes pieds, comme il a brûlé dans des manifestations récentes,ou sous la dictature,lorsque descendre dans la rue nécéssitait une bonne dose de courage et des jambes d’acier.Souvenir qui remonte toutàcoup :celui des images de l’enterrement à Barcelone de Durruti, d’une foule aussi compacte que celle- ci, mais empreinte de gravité, de douleur contenue, comme si avec sa mort son espoir, touché au cœur, devait sombrer tôt ou tard dans la nuit franquiste.

Plus de soixante ans se sont écoulés. La démocratie est enfin arrivée en Espagne et nos cris, longtemps étouffés, fusent de tous les côtés, au dessus de nos têtes et de celles de nos camarades des Marches Européennes.Solidement installés au pouvoir, les enfants des vainqueurs nous laissent fouler le pavé de la capitale emblématique de la Révolution espagnole. Le sacrifice de milliers d’hommes et de femmes aura servi à cela. Mieux que rien ? Il s’agit, en fait, d’un grand pas en avant qui sera suivi d’autres. Par exemple : Via Layetana, à côté de l’auberge de la jeunesse où nous avons passé la nuit, se dresse un immeuble de dix étages occupé par les trois principaux syndicats espagnols : les Commissions Ouvrières, (CC.OO: àl’origine, communiste), l’Union Générale des travailleurs (U.G.T., socialiste) et la Confédération Générale du Travail (C.G.T., anarcho-syndicaliste). Chaque fois que je passe devant cet édifice (le soir de la manifestation,les vitrines du rez-de-chaussée ont été brisées par des manifestants anti-vitrines qui ne font pas de distinction entre le rez-de chaussée d’un syndicat ouvrier et celui d’une banque), je m’arrête, j’écarquille les yeux et malgré moi je cherche sur sa façade les traces du Joug et des Flèches, symbole du Syndicat Vertical et de la Phalange.

Démocratie libérale... Démocratie surveillée. Bardés de cuir, bottés, casqués, à pied, à cheval ou prêts à bondir des paniers à salade, une armée de policiers- plusde six mille ont, semble-t’il, été mobilisés – nous guette cachée dans les rues adjacentes, figés dans l’attente du moindre incident. Ils seront déçus, car le flot des manifestants s’écoule paisiblement, sûr de sa force. Ce n’est que lorsque la manifestation arrive à la Plaza Colon, au terme du trajet, que les policiers vont se livrer, face à quelques manifestants qui cherchent à en découdre et à des retardataires, aux brutalités dont ils sont coutumiers.

Barcelone était, ce jour-là, une vraie fête. Plus de trois cent mille manifestants pour crier contre « l’Europe du Capita »l et pour exiger une « Europe sociale ». Un million à Rome, quelques jours plus tard, pour réclamer l’annulation des lois scélérates de Berlusconi... La jeunesse – cette jeunesse qui, soi-disant, manque de repères et de valeurs – n’a pas fini de remplir de ses cris toutes les Vias Layetanas du monde.

David Antona Gonzàlez

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