Marches Européennes
contre le chômage, la précarité et les exclusions

 Secrétariat des Marches Européennes Archives Qui sommes-nous? Liens Homepage

FSE 2003 : un saut qualitatif au niveau européen !

Après le FSE de Paris-St-Denis-Ivry-Bobigny, la revue Inprecor a demandé un premier bilan de l'édition 2003 du FSE à Michel Rousseau, coordinateur du réseau des Marches-européennes/Euromarches et membre du Secrétariat d'organisation du FSE.

Après l'immense succès du premier Forum Social Européen de Florence, le FSE 2003 de Paris-St-Denis-Ivry-Bobigny restera, au moins pour le réseau des Euromarches, mais probablement bien au-delà, comme celui d'une avancée sans précédent quant à la construction d'un mouvement social européen. Cela à double titre.

D'abord par l'affluence. Plus de 50 000 inscrit(e)s, avec une participation européenne très significative. Plus de 100 000 à la manifestation, certes bien moins qu'à Florence, mais bien plus que ce que les organisations peuvent réaliser aujourd'hui en France en dehors de périodes de luttes comme celle du printemps sur les retraites. Cela montre que la « galaxie altermondialiste » est toujours capable de rassembler très largement dans la lutte contre le capitalisme néo-libéral, qu'elle est aujourd'hui une force sociale et politique incontournable en Europe, avec laquelle il faudra compter. Cela a fait l'effet d'un grand bol d'air frais à une époque où les temps sont durs, notamment pour les chômeuses, les chômeurs et leurs organisations.

D'autre part, les « questions européennes » ont été au centre de nombreux débats. De ce point de vue, il s'agit d'un saut qualitatif. Un Forum social « européen » ne peut en effet être le simple reflet des Forums sociaux mondiaux. En s'appuyant sur les acquis de ces derniers, il doit pouvoir éclairer les situations continentales pour permettre aux acteurs et mouvements sociaux d'en tirer les conséquences pratiques. La résolution de l' « Assemblée des mouvements sociaux » en témoigne par son évaluation du projet de Constitution européenne. Ce projet « inacceptable » pour le réseau des Euromarches « ne répond pas aux aspirations » de l' « Assemblée des acteurs et mouvements sociaux ». Certes cette Assemblée ne se confond pas avec le FSE mais elle en est l'issue concrète la plus significative.

Le FSE 2003, émanation du processus de recomposition de ces dernières années, a marqué de ce point de vue une étape décisive dans l'émergence d'un « désir d'Europe » pour une nouvelle génération militante du continent.

Comment reconstruire sur les « décombres » de la fin du siècle précédent ?

Pour comprendre le phénomène que nous vivons aujourd'hui, il faut partir de l'héritage du siècle précédent. La chute du mur de Berlin est le symbole du champ de ruines laissé par les forces se réclamant du communisme ou de la social-démocratie à l'échelle de la planète et particulièrement en Europe. La chute du stalinisme et la passivité plus que bienveillante de la social-démocratie ont permis une offensive capitaliste néo-libérale sans précédent. Cela s'est concrétisé dans l'Union européenne par une casse sociale sur tous les fronts des droits sociaux acquis par un siècle de lutte. Ce que certains appelaient le « modèle social européen » est en train de sombrer sous les coups du capitalisme mondialisé.

Comment reconstruire sur des ruines, d'abord pour rétablir des rapports de force, limiter la casse, mais aussi inverser la tendance ? C'est le problème auquel sont confrontées depuis des années nombre d'organisations.

L'exemple du chômage de masse et de longue durée est typique de cette situation. Deux décennies après les Trente glorieuses, près de 20 millions de chômeurs et leurs organisations se sont retrouvées le dos au mur, dans l'impasse quasi-totale. Que faire ? Pragmatiquement, une poignée de militantes et militants de différentes sensibilités politiques réunis à Florence en 1996 eurent l'idée de prendre une initiative au niveau européen, une initiative ouverte à toutes les forces sociales, syndicales ou politiques qui voulaient s'y associer, pour autant qu'elles veuillent unir leurs forces dans la lutte contre le chômage. C'est ainsi que naquirent les Marches européennes: en 1997, après deux mois de marches dans toute l'Europe à leur initiative, 50 000 manifestant(e)s se retrouvaient à Amsterdam. Ils furent les premiers surpris de leur succès et de se retrouver « tous ensemble ». Des sections du DGB y côtoyaient la CGT anarchiste de l'Etat Espagnol, les chômeurs de l'INOU d'Irlande ceux d'AC ! de France ou de l'ALI-Thüringen d'Erfurt. Une première expérience de convergence par delà les clivages politiques nationaux s'opérait à l'échelle européenne. Les chemins de la recomposition ne passaient pas par des accords d'organisation au sommet, mais par un bout de marche fait ensemble.

C'était dans « l'air du temps » et ce qui se produisit dans la foulée autour des problèmes liés à la « mondialisation » confirma la tendance, de Seattle à aujourd'hui en passant par les mobilisations à l'occasion des sommets importants du FMI, du G8, de l'UE etc... Ces mobilisations allèrent en crescendo malgré le manque de perspectives à moyen ou long terme.

Et vint aussi le temps de la réflexion et du débat : Porto Alegre en est le symbole!

La « place du village mondial » était à Paris-St-Denis-Ivry-Bobigny.

C'est ainsi que nos ami(e)s fondateurs du FSM définissent le lieu de débat qu'ils ont initié à Porto Alegre. Et c'est bien défini. La « place » du village est en effet le lieu commun qui appartient à toutes et tous, même si le monde actuel ne ressemble pas vraiment à un village paisible... Mais retenons l'image de la « place ». De ce point de vue, la réussite des Forums sociaux qui se déclinent aujourd'hui à toutes les échelles, mondiales, continentales, locales, est impressionnante. Comme personne n'a de solution magique à la situation actuelle, on se rencontre pour échanger et « faire ensemble si affinités ». Le FSE 2003 est dans cette logique qui a vu plus de 1500 structures européennes associatives, syndicales et aussi politiques (mais chut ! il ne faut pas le dire) converger vers la même « place ». Et tout le monde fût de la fête, in ou off, pendant ou avant, les associations, les syndicats, les partis, les élus locaux ou européens, les pour et les contre... la CES comme les intergalactiques et les No-vox. Les libertaires eux-mêmes, bien que méfiants, ont eu la bonne idée d'organiser leur propre forum en même temps ! Tout cela laissera des traces pour construire un mouvement social européen de plus en plus nécessaire.

Car il ne s'agit pas seulement « d'organisations ». Le Forum se veut aussi la rencontre des pays de tout un continent, bien au-delà de l'Union européenne. L'élargissement à l'Est de l'Europe, bien qu'insuffisant, connût de fortes délégations de Pologne, de Hongrie, de Russie. Elargissement aussi, bien que plus limité, aux couches sociales populaires dans les villes de banlieue où se tenait le Forum. L'ancrage social, notamment chez les salarié(e)s, les « sans », les couches sociales issues de l'immigration, reste un des enjeux à venir des forum sociaux, notamment locaux ou nationaux, par-delà la participation significative des militantes et militants des organisations aux rencontres continentales ou mondiales. Il y va du poids politique des forums à tous les niveaux, de la base sociale de ce processus de recomposition et donc de sa capacité d'alternative réelle aux régressions sociales actuelles.

L'Assemblée des mouvements sociaux: un processus pour agir.

Les Euromarches attendent beaucoup de telles rencontres pour analyser, débattre, mais aussi pour trouver des partenaires, créer des liens, élaborer des alternatives, des revendications communes, initier des campagnes pour changer les conditions de vie de dizaines millions de chômeuses, chômeurs et précaires en dessous du seuil de pauvreté sur le continent le plus riche de la planète. L' « Assemblée des femmes » à l'ouverture s'inscrivait déjà dans cette dynamique. C'était aussi la fonction de l' « Assemblée des acteurs et mouvements sociaux » en conclusion.

Cela prend du temps. La méthode du « consensus majoritaire » qui permet l'organisation la plus large de tels événements est plus compliquée à mettre en œuvre quand il s'agit d'agir ensemble. Le FSE en tant que tel ne prend pas de décision pour permettre à toutes ses composantes d'y rester tout simplement. Mais les synergies qu'il génère initient des campagnes et mobilisations qui peuvent prendre une dimension mondiale comme ce fut le cas l'an passé contre la guerre.

Nous pensions qu'il aurait été possible cette année de converger beaucoup plus contre la casse sociale généralisée des droits sociaux dans l'Union européenne. Le principe d'une journée d'action au niveau européen a bien été retenu mais reste dépendant de l'implication ou non de la CES pour sa mise oeuvre. Il y a pourtant urgence. Comme on a pu le voir sur la question des retraites, tous les pays ont connu des mobilisations à la hauteur de l'offensive des fonds de pension contre les retraites par répartition. Pour autant rien n'a été coordonné au niveau européen et nous avons perdu dans tous les pays. Il est de plus en plus nécessaire d'élaborer des revendications communes européennes, notamment concernant le droit à l'emploi et les revenus (salaires, minima sociaux, allocations-chômage, retraites), si l'on veut éviter le dumping social, salarial et fiscal planifié dans le cadre de l'élargissement.

Par contre, il s'est dégagé un large consensus sur la question du « Projet de traité établissant une Constitution pour l'Europe ». La position selon laquelle « il vaudrait mieux ce mauvais projet que rien du tout » est demeurée très minoritaire dans la plupart des plénières et séminaires. La journée du 9 mai, jour de la proclamation de cette constitution, servira de point d'orgue aux initiatives pour une autre Europe, démocratique, citoyenne, des droits, de la paix, de l'égalité.

Nous sommes l'Europe !

L'autre Europe est déjà là. Contrairement à ce que disent les néo-libéraux, des alternatives existent déjà: nombre de séminaires ont fait des propositions très concrètes dans tous les domaines. L'Europe que nous voulons est en marche. Nous sommes cette autre Europe, nous sommes peut-être tout simplement l'Europe à un moment où l'Union européenne veut la réduire à une vaste zone le libre-échange. Cette « conscience européenne » a trouvé un premier visage lors de ce Forum 2003. Des dizaines de milliers de militantes et militants pensent et agissent aujourd'hui au niveau européen. Cela va changer la donne dans le monde associatif , syndical et politique. Le niveau européen permet en effet d'aller bien au-delà des blocages nationaux dans le processus de recomposition en cours.

Il est aussi de la responsabilité des partis politiques de tirer les leçons de ce qui se passe dans ces forums pour contribuer à mettre en place les stratégies politiques et formes d'organisation nécessaires à l'émergence de cette autre Europe, en s'inspirant notamment de la méthode du « consensus majoritaire large » autour d'initiatives communes. Cela n'a que peu à voir avec l'héritage du « centralisme dit démocratique » du siècle passé, de « l'alternance » entre libéraux de droite ou de gauche, mais ce sera la seule façon de faire de la politique autrement et d'ouvrir les générations actuelles à des projets politiques unifiant au niveau européen et pour un autre monde.

Et bon courage à nos ami(e)s de Grande-Bretagne pour faire franchir une nouvelle étape à tout le mouvement à Londres en 2004 !

Michel Rousseau pour Inprecor
Novembre 2003